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13 juillet 2015 1 13 /07 /juillet /2015 18:57

Qu’est-ce qui arrive dans ces machines atomiques ? La matière se réduit en bouillie, vous y mettez du gruyère et il en sort du quark, des trous noirs, de l’uranium centrifugé ou que sais-je encore ?
Umberto Eco, Le Pendule de Foucault

Après deux années de travaux intenses de maintenance et de consolidation et plusieurs mois de préparation en vue du redémarrage, le Grand collisionneur de hadrons (LHC) du CERN, le plus puissant accélérateur de particules du monde, est de nouveau en service. Il fonctionnera à une énergie sans précédent, près de deux fois l’énergie obtenue lors de la première campagne qui avait conduit à la découverte du boson de Brout-Englert-Higgs. Les collisions proton-proton de 14 TeV attendues avant l’été permettront aux expériences LHC d’explorer de nouveaux territoires de la physique.
Mais déjà les titres absurdes fleurissent dans les médias : « mini-trou noirs et univers parallèles : ce que nous réserve le CERN », « LHC can help detect parallel universes », etc., pour ne pas parler des délires dignes d’un asile d’aliénés, type : « ouverture imminente des portes de l’enfer », « black hole doomsday », etc.

Cette psychose du désastre n’est pas nouvelle; elle est même profondément ancrée dans l’esprit humain, ou tout au moins dans certains esprits à tendance paranoiaque. Déjà, dans son édition du 18 juillet 1999, l’hebdomadaire britannique Sunday Times annonçait la mise en chantier du nouvel accélérateur de particules du laboratoire de Brookhaven (États-Unis) d’une manchette tonitruante : « La machine à big-bang pourrait détruire la Terre ». Suivait un commentaire fantaisiste, suggérant que le risque d’engendrer, lors d’une collision de particules à haute énergie, un mini-trou noir capable d’aspirer la Terre n’était pas négligeable. Malgré les démentis des physiciens, l’émoi provoqué par ce titre fut planétaire – ce qui était bien l’effet recherché.
En 2007, rebelote et surenchère avec la mise en œuvre du LHC. Comme aucun mini-trou noir n’a évidemment pointé son nez, les médias se sont un peu calmés. Et maintenant, cela recommence de plus belle avec la remise en service de l’accélérateur qui s’est effectuée cette semaine, et la montée en puissance prévue pour l’été.

Qu’en est-il réellement ? Peut-on imaginer qu’un puissant accélérateur de particules engendre des énergies suffisamment élevées pour que deux particules fusionnent en un mini-trou noir ? Ou, plus fascinant encore, qu’il ouvre la porte sur des dimensions cachées de l’espace et autres « univers parallèles »?
J’avais déjà abordé la question dans mon livre « Le destin de l’univers : trous noirs et énergie sombre« , paru en 2006 et réactualisé en 2010 pour son édition de poche. Je reprends et développe ici une partie de mon propos d’alors.

Le LHC va délivrer une puissance de 14 000 GeV. Rappelons que le gigaélectronvolt (GeV) est une mesure de l’énergie bien adaptée à la physique des particules : elle correspond à peu près à la masse-énergie d’un proton au repos. Chaque proton accéléré au LHC atteindra donc une énergie de mouvement environ 14 000 fois supérieure à celle du proton immobile. En vertu de E = mc2, cette énergie de mouvement correspond à une masse d’un peu plus de 10–23 kilogramme. Quand deux particules de ce type se heurtent, leur énergie se concentre dans une région minuscule de l’espace, et certains chercheurs ont tenté de pronostiquer que deux protons ultra-relativistes entrant en collision puissent de temps en temps former un mini-trou noir. Mais pour cela, il faudrait que la gravité l’emporte sur l’interaction nucléaire forte. Or c’est très très loin d’être le cas. Une masse de 10–23 kg est extrêmement petite par rapport à la valeur critique de 10–8 kg (c’est-à-dire la masse de Planck, correspondant à une énergie de 1019 GeV) qui, d’après la relativité générale classique, correspond à la masse minimale pour former un mini-trou noir. En outre, d’après la mécanique quantique, les particules ont une extension spatiale d’autant plus petite que leur énergie est élevée. Pour les énergies atteintes avec les protons du LHC, le calcul donne 10–19 mètre ; ceci entraîne qu’une densité maximale de 1034 kilogramme par mètre cube sera atteinte – une valeur certes élevée, mais notoirement insuffisante pour créer un mini-trou noir.

La raison profonde est la faiblesse insigne de la gravité sur l’interaction forte qui assure la cohésion des noyaux. Pour qu’une particule soit à la fois suffisamment massive et compacte pour former un trou noir, il faudrait une énergie un million de milliards de fois plus grande que celle accessible au LHC !

Certes, ces calculs ne sont corrects que dans le cadre de la relativité générale classique. Cependant, en théorie des cordes, la gravitation, contrairement aux autres interactions, pourrait se propager dans des « dimensions supplémentaires » de l’espace, et en conséquence augmenterait considérablement d’intensité à courte distance : dans la théorie classique, c’est-à-dire dans l’espace à trois dimensions, l’intensité de la gravité est quadruplée quand la distance est divisée par deux ; en dimension 9, au lieu de 4 fois elle deviendrait 256 fois plus intense. Ceci implique que la densité d’énergie nécessaire pour créer des mini-trous noirs en laboratoire serait à la portée du LHC, mais seulement dans le cas théorique le plus « favorable », à savoir celui où la taille des dimensions supplémentaires de l’espace serait de l’ordre du millimètre. Dans les modèles de supercordes, en effet, l’énergie nécessaire pour que la gravité l’emporte sur l’interaction forte est moins grande, dans une proportion qui dépend de la taille des dimensions supplémentaires. Si celle-ci est millimétrique, l’énergie de Planck nécessaire pour créer un mini-trou noir ne serait plus de 1019 GeV mais de 103 GeV. Or, le LHC produit une énergie dix fois plus grande.

La conséquence la plus spectaculaire d’un tel scénario serait la production de trous noirs au LHC, comme l’ont indépendamment calculé Savas Dimopoulos et Greg Landsberg en 2001, puis Steven Giddings et Scott Thomas en 2002 : le LHC deviendrait une « usine à trous noirs », les produisant à un taux de 1 par seconde. Ces mini-trous noirs auraient un diamètre si petit (10–18 m) que, en vertu du processus d’évaporation quantique de Hawking, ils ne vivraient que 10–27 seconde. Aussitôt créés, les trous noirs de laboratoire se désintégreraient donc en laissant une signature spectaculaire – une immense découverte qui apporterait la preuve de l’existence de dimensions cachées dans l’Univers, prévue par la théorie des cordes.

Oui mais, clament les Cassandre, comment être sûr qu’ils vont bien se désintégrer en toute sécurité, plutôt que de continuer à croître et, pour finir, engloutir toute notre planète ? Puisque le rayonnement Hawking n’a encore jamais été observé, la théorie de l’évaporation pourrait être fausse, et ils estiment qu’il y a un réel danger à jouer les apprentis sorciers : que se passerait-il si un trou noir produit au laboratoire ne s’évaporait pas ? Pourrait-il absorber la Terre ?

Comme de nombreux autres spécialistes des trous noirs, j’ai été inondé de courriers faisant état de cette crainte quelque peu irrationnelle ; des pétitions ont été lancées, tentant de rassembler les signatures de scientifiques afin de dissuader les pouvoirs publics de poursuivre la construction du LHC. Un « hoax » complètement stupide – et malfaisant pour les esprits crédules – circule en ce moment-même sur internet, selon lequel le pape François, dans son discours pascal, aurait déclaré à la foule « Sommes-nous au seuil des jours maléfiques dont la Bible fait allusion? Est-ce que les hordes de démons qui rôdent dans les fosses de l’enfer sont sur le point de déferler massivement dans notre monde? Il faut méditer quant à ces questions avant de permettre aux scientifiques de procéder à de telles expériences ». L’histoire est certes riche en oppositions entre science et religion, mais seulement lorsque cette dernière est fondamentaliste, ce qui n’est heureusement plus le cas avec la religion catholique moderne. En revanche, les sectes fondamentalistes qui pullulent aux Etats-Unis s’en donnent à coeur joie, quitte à mentir et à tromper les crédules.

Hélas – oui, j’écris bien hélas -, la perspective de produire des trous noirs artificiels sur Terre est pour l’heure totalement insensée. La théorie des cordes et des dimensions supplémentaires qui vont avec est très loin d’être établie, sans compter que l’ajustement de ces hypothétiques dimensions à une taille aussi finement réglée que le millimètre est hautement improbable. Mais rêvons un peu… Si cela se produisait vraiment, y aurait-il danger?
En réalité, aucun. Même si certains détails du calcul de Hawking peuvent être erronés, d’autres raisonnements fondés sur la seule mécanique quantique indiquent que les trous noirs microscopiques ne peuvent être stables, ce qui implique leur désintégration spontanée. Par ailleurs, même un mini-trou noir « stable » pourrait subsister des milliards d’années sans absorber la Terre : la seule énergie libérée par l’absorption de matière limiterait sa vitesse de croissance (appelée limite d’Eddington en astrophysique).
Et pour ceux qui ne seraient pas convaincus par ces arguments théoriques, un argument empirique corrobore l’hypothèse que les « usines à trous noirs » ne présenteraient aucun risque. Des collisions très énergétiques comme celles qui ont lieu au LHC se produisent fréquemment au-dessus de nos têtes, lorsque des rayons cosmiques de haute énergie percutent l’atmosphère terrestre. Par conséquent, si les collisions au LHC sont susceptibles de former des mini-trous noirs, la nature en fabrique déjà dans l’atmosphère à un rythme évalué à 100 par an. Et tout le monde a pu constater que la Terre n’a pas été engloutie…

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